Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tère sous l’emblème de la porte transparente qui donne entrée aux songes du matin, et la sagesse unanime des peuples l’a exprimée d’une manière plus vive encore dans ces locutions significatives de toutes les langues : J’y rêverai, j’y songerai, il faut que je dorme là-dessus, la nuit porte conseil. Il semble que l’esprit, offusqué des ténèbres de la vie extérieure, ne s’en affranchit jamais avec plus de facilité que sous le doux empire de cette mort intermittente, où il lui est permis de reposer dans sa propre essence, et à l’abri de toutes les influences de la personnalité de convention que la société nous a faite. La première perception qui se fait jour à travers le vague inexplicable du rêve est limpide comme le premier rayon du soleil qui dissipe un nuage, et l’intelligence, un moment suspendue entre les deux états qui partagent notre vie, s’illumine rapidement comme l’éclair qui court, éblouissant, des tempêtes du ciel aux tempêtes de la terre. C’est là que jaillit la conception immortelle de l’artiste et du poète ; c’est là qu’Hésiode s’éveille, les lèvres parfumées du miel des muses ; Homère, les yeux dessillés par les nymphes du Mélès ; et Milton, le cœur ravi par le dernier regard d’une beauté qu’il n’a jamais retrouvée. Hélas ! où retrouveroit-on les amours et les beautés du sommeil ? — Ôtez au génie les visions du monde merveilleux, et vous lui ôterez ses ailes. La carte de l’univers imaginable n’est tracée que dans les songes. L’univers sensible est infiniment petit.

Le cauchemar, que les Dalmates appellent Smarra, est un des phénomènes les plus communs du sommeil, et il y a peu de personnes qui ne l’aient éprouvé. Il devient habituel en raison de l’inoccupation de la vie positive et de l’intensité de la vie imaginative, particulièrement chez les enfants, chez les jeunes gens passionnés, parmi les peuplades oisives qui se contentent de peu, et dans les états inertes et stationnaires, qui ne demandent qu’une attention vague et rêveuse, comme celui du ber-