Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son épiderme un peu basané, la pâleur de l’Italien est livide. L’activité de sa vie morale sembloit s’être réfugiée tout entière dans deux yeux d’un bleu transparent et bizarre, qui scintilloient avec une puissance inexprimable entre deux paupières rouges, dont les larmes avoient, selon toute apparence, dévoré les cils, car ses sourcils étoient d’ailleurs très-beaux.

Comme nous nous étions avoué l’un à l’autre que nous étions sujets au cauchemar, nous avions pris l’habitude de coucher dans deux chambres voisines, pour pouvoir nous éveiller réciproquement, au bruit d’un de ces cris lamentables qui tiennent plus, comme je le disois tout à l’heure, de la bête fauve que de l’homme. Seulement il avoit toujours exigé que je fermasse la porte de mon côté, et j’attribuois cette précaution à l’habitude inquiète et soupçonneuse d’un malheureux qui a été longtemps menacé dans sa liberté, et qui jouit depuis peu du bonheur de se remettre à la garde d’un ami. Un soir, nous n’eûmes qu’une chambre et qu’un lit pour deux. L’hôtellerie étoit pleine. Il reçut cette nouvelle d’un front plus soucieux que de coutume ; et quand nous fûmes dans le galetas qui nous étoit assigné, il divisa les matelas de manière à en faire deux lits, délicatesse dont je me serais peut-être avisé, et qui ne me choqua point. Ensuite il s’élança sur le sien, et, me jetant un paquet de cordes dont il s’éloit muni : — Viens me lier les pieds et les mains, me dit-il avec l’expression d’un désespoir amer, ou brûle-moi la cervelle.

Je raconte, je ne fais pas un épisode de roman fantastique ; je ne rapporterai pas ma réponse et les détails d’un entretien de cette nature : on les devinera.

— L’infortunée qui m’a dit de la manger pour soutenir ma vie, s’écria-t-il en se renversant avec horreur et en couvrant ses yeux de ses mains… ; il n’y a pas une nuit que je ne la déterre et que je ne la dévore dans mes songes… ; pas une nuit où les accès de mon exécrable