Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/219

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le manger rôti sur une braise ardente. Un fiancé de vingt ans qu’elles entouroient de leurs embûches, et qui s’étoit souvent réveillé à propos, au moment où elles commençoient à sonder sa poitrine du regard et de la main, s’avisa, pour leur échapper, d’assister son sommeil de la compagnie d’un vieux prêtre, qui n’avoit jamais entendu parler de ces redoutables mystères, et qui ne pensoit pas que Dieu permît de semblables forfaits aux ennemis de l’homme. Celui-ci s’endormit donc paisible, après quelques exorcismes dans la chambre du malade qu’il avoit mission de défendre contre le démon ; mais le sommeil étoit à peine descendu sur ses paupières qu’il crut voir les ujèstize planer sur l’oreiller de son ami, s’ébattre et s’accroupir autour de lui avec un rire féroce, fouiller dans son sein déchiré, en arracher leur proie et la dévorer avec avidité, après s’être disputé ses lambeaux sur des réchauds flamboyants. Pour lui, des liens impossibles à rompre le retenoient immobile sur sa couche, et il s’efforçoit en vain de pousser des cris d’horreur qui expiroient sur ses lèvres, pendant que les sorcières continnoient à le fasciner d’un œil affreux, en essuyant de leurs cheveux blancs leurs bouches toutes sanglantes. Lorsqu’il s’éveilla, il n’aperçut plus que son compagnon, qui descendit du lit en chancelant, essaya quelques pas mal assurés, et vint tomber froid, pâle et mort à ses pieds, parce qu’il n’avoit plus de cœur. Ces deux hommes avoient fait le même rêve, à la suite d’une perception prolongée dans leurs entretiens, et ce qui tuoit l’un, l’autre l’avoit vu. Voilà ce qui en est de notre raison abandonnée aux idées du sommeil.

Il n’y a personne en lisant cela, si on le lit, et après l’avoir vérifié aux pages 64 et 65 du Voyage de Fortis, dans l’édition italienne, qui ne se rappelle que la même histoire fait le sujet du premier livre d’Apulée, qui n’étoit probablement connu ni du pauvre Morlaque, ni du