Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/255

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en repoussant ma main avec une méprisante colère, que cette fortune vous aura été offerte, et que vous l’aurez refusée. — Je ne compris pas trop comment cela pourroit se faire, mais j’attachois si peu d’importance à la prédiction de cette aventurière, que je n’y ai pas songé depuis.

La coïncidence de ces deux mystérieux événements frappa M. de Louvois, car il n’est point d’esprit si aguerri contre la séduction des apparences, qu’il ne s’étonne d’être obligé d’accorder quelque chose à l’intelligence du hasard. Après un moment de réflexion, il fit part à Paul de ce qui s’étoit passé la veille entre lui et M. Despin, et ouvrit sous ses yeux l’acte formel qui n’attendoit plus que sa signature. Il le quitta ensuite pour laisser un libre cours à ses réflexions. L’affaire en valoit la peine. Pendant que tout ceci se passoit au méchant cabaret de Pierrefitte, le ciel s’étoit éclairci ; les eaux turbulentes du gave étoient rentrées dans leur lit, et les mazettes du relais, délassées par un long loisir, piaffoient à la porte, sur les pavés de granit sonore, comme des chevaux de bataille ; le maréchal du pays cherchoit à dégager adroitement quelque vis de son écrou, pour avoir un prétexte à le resserrer, et M. de Louvois se préparait à partir. Un quart d’heure s’étoit à peine écoulé, quand Paul entra chez son maître, d’un air modeste et cependant résolu. M. de Louvois le regarda fixement.

— Eh bien ! dit-il en riant, est-ce à M. Despin fils que j’ai l’avantage de parler ?

— Non, monsieur le marquis, répondit Paul ; c’est à Paul qui étoit votre domestique hier, qui l’est aujourd’hui, et qui n’a d’autre ambition que de l’être toujours, si vous êtes content de ses services.

— As-tu bien réfléchi ? reprit M. de Louvois étonné.

— Je réfléchirois dix ans sans changer de détermination.

— M. de Louvois paraissant disposé à lui accorder une attention sérieuse, il continua : Je suis extrêmement touché, dit-il, du malheur de cette famille, et je vou-