Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/258

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n’avoit point dormi, et quand un valet de l’auberge lui remit la triste lettre d’adieu de M. de Louvois, il ne fit qu’y jeter un regard sombre et abattu, car il connoissoit déjà son arrêt. Oh ! de quelle force a-t-il dû s’armer pour regagner sa maison ! Comment s’est-il présenté à sa femme, si impatiente de son retour, et cependant si assurée du résultat de son voyage ? Quel récit lui a-t-il fait de ces espérances d’un moment changées en deuil éternel ? La religion seule peut expliquer la résignation du cœur dans de si cruelles épreuves ! Il y a là des angoisses qui se conçoivent à peine, et qui ne se décrivent pas.

L’histoire que je viens de raconter, sans y ajouter la plus légère circonstance, et sans la relever par des ornements recherchés qui me la gâteraient à moi-même, peut donner lieu à de graves réflexions. Les philosophes positifs qui nient l’intervention d’un Dieu dans les choses de la terre feront honneur de ces rencontres merveilleuses à la puissance du hasard, parce que c’est le nom qu’on donne à Dieu quand on a pris le parti désespéré de n’y pas croire. Les chrétiens y verront un symbole plus consolant et plus élevé.

Que peut, en effet, l’intercession la plus puissante pour consoler le veuvage d’un cœur que la mort a, pour ainsi dire, dédoublé (pardonnez-moi cette expression, qui est celle d’un sentiment, et non pas celle d’une manière) ? Hélas ! elle ne peut que lui rendre des apparences et des formes ; car l’âme qui les animoit a déjà un autre séjour, et c’est à celui-là qu’il nous est enseigné d’aspirer, pour retrouver tout ce que nous avons perdu. Le reste n’est qu’une illusion qui peut tromper un moment les yeux d’un père, mais qui ne trompe pas longtemps sa tendresse. Pour voir recommencer la vie d’un être chéri qui nous a été enlevé, il faut recommencer nous-mêmes à vivre ; et cette idée suffiroit pour embellir la mort, si la mort avoit besoin d’être embellie aux regards de quiconque a vécu longtemps. Mais du moins la vie