Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/290

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aux lazzis de Polichinelle, l’air badaud et les mains dans ses poches, comme le reste des spectateurs de Polichinelle. C’étoit Pierre Bayle que vous connoissez, Bayle l’avocat général des philosophes et le prince des critiques, Bayle qui a fait la biographie de tout le monde en quatre énormes in-folio ; et Pierre Bayle n’a pas osé faire la biographie de Polichinelle ! Je ne cherche pas toutefois dans ce rapprochement des motifs de m’enorgueillir, comme un sot écrivain amoureux de ses ouvrages. La civilisation marchoit, mais elle n’étoit pas arrivée ; c’est la faute de la civilisation, ce n’est pas la faute de Bayle. Il falloit à Polichinelle un siècle digne de lui ; si ce n’est pas celui-ci, j’y renonce.

L’ignorance où nous sommes des faits intimes de la vie de Polichinelle étoit une des conditions nécessaires de sa suprématie sociale. Polichinelle, qui sait tout, a réfléchi depuis longtemps sur l’instabilité de notre foi politique et sur celle de nos religions. C’est sans doute lui qui a suggéré à Byron l’idée qu’un système de croyances ne duroit guère plus de deux mille ans, et Polichinelle n’est pas homme à s’accommoder de deux mille ans de popularité, comme un législateur ou comme un sectaire. Polichinelle, qui a pour devise l’Odi profanum vulgus, a senti que les positions solennelles exigeoient une grande réserve, et qu’elles perdoient progressivement de leur autorité en s’abaissant à des rapports trop vulgaires. Polichinelle a pensé comme Pascal, si ce n’est Pascal qui l’a pensé comme Polichinelle, que le côté foible des plus hautes célébrités de l’histoire, c’est qu’elles touchoient à la terre par les pieds, et c’est de là que proviennent en effet ces immenses vicissitudes qui ont fait dire à Mahomet :

Mon empire est détruit si l’homme est reconnu !

Polichinelle, logicien comme il l’est toujours, n’a jamais touché à la terre par les pieds. Il ne montre pas