Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/304

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je viens de vous donner connoissance, et que vous seriez bien fondés à regarder comme la plus mauvaise de notre grand peintre de caractères, si je vous la donnois pour autre chose que pour un détestable pastiche.

Mais, tout réfléchi, j’aime mieux vous raconter ce que me disoit à ce sujet mon vieil et respectable ami Jacques Mauduyt, un soir de vendémiaire an viii, que nous dînions ensemble chez Legacque, dans un cabinet particulier, car il avoit la bonté d’aimer à s’entendre causer devant moi, quoique je ne fusse alors qu’un jeune écolier très-novice en philosophie ; et comme j’étois fort avide de science, j’y prenois de mon côté un singulier plaisir.

Or, si vous avez oublié M. Jacques Mauduyt, ce qui pourroit bien être arrivé au train que vont les réputations, je me félicite de pouvoir vous apprendre que c’étoit un homme studieux, savant, modeste, parfait d’esprit et de mœurs, qui avoit concouru tout jeune, sans sortir d’une sage et méritoire obscurité, aux travaux de l’académie de Berlin, où il fut le confrère et l’élève de Voltaire, de Maupertuis, de Formey[1], du marquis d’Argens, du roi de Prusse, d’une foule de gens de lettres plus ou moins célèbres dont les principaux sont ici classés par ordre de talents, et qu’il exerçoit, à l’époque dont il est actuellement question, les honorables fonctions de président d’une école centrale, dans laquelle je me formois, sans le savoir, à grossoyer des feuilles, bonnes ou mauvaises, pour la Revue de Paris, quand je ne serois plus d’âge à commencer l’apprentissage d’un métier plus utile et plus sûr.

Un jour donc qu’il me donnoit à dîner chez le Loin-

  1. Formey (Jean-Henri-Samuel), d’une famille originaire de Vitry en Champagne, ministre de l’Évangile, rédacteur du journal de Berlin, auteur d’un grand nombre d’ouvrages historiques, philosophiques et académiques, doyen de l’Académie des sciences et belles-lettres de Berlin, né dans cette ville le 31 mai 1711, mort le 8 mars 1797.