Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/305

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tier du directoire, sur la terrasse des Tuileries : — Voici qui mérite attention, me dit-il quand il fut arrivé au troisième ou quatrième chapitre de la carte. J’écoutois de toutes mes oreilles, parce que c’étoit le moment où il avoit coutume de développer devant moi toutes les richesses de son érudition et de sa mémoire.

— Manges-tu du pigeon rôti ? — reprit-il en consultant ma pensée d’un regard scrutateur.

Je ne sais quel effet auroit produit sur vous une pareille question ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle fut pour moi l’objet d’une de ces opérations de l’esprit qui s’exécutent spontanément, mais d’une manière très-logique, dans l’intelligence, et qui la tiennent comme suspendue un moment sur un nouvel abîme qu’elle vient de découvrir dans le monde moral.

Non, je ne mange pas du pigeon rôti.

Pourquoi ne mangerois-je pas du pigeon rôti ?

Je ne me souviens pas d’avoir mangé du pigeon rôti.

Quel mal y a-t-il à manger du pigeon rôti, si on en servoit maintenant ?

De cet enchaînement de pensées je ne livrai à M. Mauduyt que la solution matérielle du problème. Je restai indécis sur les motifs déterminants de ma réponse, ou plutôt je n’essayai pas même de les débrouiller.

— Non, monsieur, répondis-je à M. Mauduyt en rougissant un peu, je ne mange pas de pigeon.

— Alors, continua-t-il avec une intention marquée de m’embarrasser, nous pourrons nous faire servir, si cela te convient mieux, un salmis d’hirondelles ou une brochette de moineaux.

— Eh ! qui s’est jamais avisé, m’écriai-je, de manger des moineaux à la brochette et des hirondelles en salmis ?

— Ce n’est pas l’usage, continua M. Mauduyt, quoique la chair de ces petits animaux soit fine, délicate, exquise et d’une facile digestion. Mais tu ne m’as pas dit si