Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/324

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partout où l’imprudence et la gaucherie se compliquent avec la force et le pouvoir. On étendroit ce principe à des applications plus importantes, et l’histoire prouveroit qu’il est de mise dans l’économie des États comme dans celle du foyer ; mais je vous dois une autre observation qui s’éloignera moins de notre sujet : c’est qu’il étoit tout naturel que les lésions du miroir réveillassent une idée de fatalité dans l’imagination des hommes qui se sont transmis ces vérités d’expérience et de sentiment, que les philosophes ignorants appellent des superstitions. La répétition limpide et correcte de l’image de l’homme a par elle-même quelque chose de fantastique, singulièrement propre à frapper les esprits d’une sorte de vertige ; et la mutilation qui multiplie l’effet du miroir en détruisant son unité produit, de l’aveu de tout le monde, un effet qui sort de l’ordre des sensations communes. Ceci n’est pas seulement une superstition, pour me servir de leur langage, c’est une impression.

— Je l’avois éprouvée sans m’en rendre raison, répondis-je à La Mettrie, mais vous m’avez fait revenir de l’habitude des jugements précipités, et j’oserois à peine vous proposer de regagner maintenant le salon des onze convives, puisque notre souper est fini, si la mèche de nos chandelles, qui plie sous un chapelet de disques ardents, ne m’annonçoit pas que le cercle de la table d’hôte a dû s’agrandir d’une nombreux surcroît de compagnie.

— Vous me faites penser, répliqua La Mettrie en éclatant de rire, que l’homme à la salière a oublié de nous donner des mouchettes ; et je reconnois bien le génie pernicieux qui le domine à ce défaut de précaution. C’est peu pour lui de déshonorer la maison de ses maîtres par sa maladresse, s’il ne l’expose à être brûlée par sa négligence. L’induction dont vous me parlez n’est au reste, dans le langage du peuple, qu’une de ces périphrases