Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/359

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souterrains, foudroyée par les météores de l’air, et noyée par les eaux du ciel.

Et quand le phénomène avoit disparu, l’homme se retrouvoit debout.

Le petit nombre d’animaux qui s’étoient soustraits à ces désastres, et qui ne faisoient pas partie de ceux que l’ennemi commun avoit soumis, n’hésitèrent pas à se soustraire à son dangereux voisinage par tous les moyens que leur donnoient leur instinct et leur génie. L’aigle, heureux d’avoir vu surgir des rochers inaccessibles, se hâta de placer son aire à leur sommet ; la panthère se réfugia dans des forêts impénétrables ; la gazelle, dans des sables mouvants qui auraient aisément saisi des pieds moins vites et moins légers que les siens ; le chamois, dans les franges bleues des glaciers ; l’hyène, dans les sépultures. La licorne, l’hippogriffe et le dragon firent tant de chemin qu’on ne les a jamais revus depuis. Le bruit commun dans l’Orient est que le griffon s’en alla d’un vol se cacher dans la fameuse montagne de Kaff, qui est la ceinture du monde, et que les navigateurs cherchent encore.

L’homme croyait avoir asservi tout le reste. Il fut content.

Un jour qu’il marchoit en grande pompe dans son orgueil insolent (c’étoit un dieu de ce temps-là), un jour donc, fatigué de carnage et de gloire, il s’assit sur un cône assez grossier que ses ouvriers paroissoient avoir élevé à dessein dans la campagne. La construction en étoit régulière, solide, assez compacte pour résister au marteau, et rien n’y manquoit pour seoir commodément le maître du monde.

— Eh bien ! dit-il, que sont devenus les animaux que mes pères ont rencontrés ? Les uns ont fui ma colère, et je m’en inquiète peu ! Je les retrouverai bien avec mes chiens et mes faucons, avec mes soldats et mes vaisseaux, quand j’aurai besoin de leur duvet pour mes sommiers