Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de leur poil pour mes fourrures. Les autres se sont dévoués de bonne grâce au pouvoir de leur maître légitime. Ils ouvrent mes sillons, traînent mes chars, ou servent mes plaisirs. Ils fournissent leurs molles toisons à mes vêtements, leurs plumes diaprées à ma parure, leur sang à ma soif et leur chair à mon appétit. Je n’ai pas trop à me plaindre. Je suis l’homme et je règne. Est-il un seul être animé, sur tout l’espace où je daigne étendre mon empire, qui m’ait refusé son hommage et sa foi ?…

— « Oui, dit une voix grêle, mais aigre et sifflante, qui s’élevoit en face de lui du haut d’un grain de sable ; oui, tyran, tu n’as pas encore dompté la fourmi Termès qui se rit de ton pouvoir, et qui te forcera peut-être demain à t’enfuir de tes cités, et à te livrer nu, comme tu es arrivé, à la mouche de Nubie ! Prends garde, roi des animaux, car tu n’as pensé ni à la mouche, ni à la fourmi !… »

C’étoit une fourmi en effet ; et l’homme s’élançoit pour la tuer, quand elle disparut dans un trou. Longtemps il le cerna de la pointe de son fer ; mais il eut beau soulever le sable à une grande profondeur : la galerie souterraine se prolongeait en s’élargissant, et il s’arrêta d’épouvante et d’horreur en sentant le sol s’ébranler sous ses pieds, tout près de l’entraîner dans un abîme horrible à concevoir, pour y servir de pâture à la famille de la fourmi Termès.

Il appela ses gardes et ses esclaves. L’homme en avoit déjà ; car l’esclavage et l’inégalité sont les premières choses qu’il ait inventées pour son usage. Il fit retourner, il fit labourer, il fit creuser la terre. Il fit renverser à grand’peine tous ces monticules artificiels sur l’un desquels il s’étoit reposé. La bêche et la sape lui découvrirent partout des trous pareils à celui où la fourmi Termès s’étoit précipitée à ses yeux. Il calcula en frémissant de terreur que le nombre de ses sujets rebelles