Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/362

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La femme n’étoit pas de ce monde matériel ; c’est la première fiction que le ciel ait donnée à la terre.

L’homme parvint donc à se distraire ainsi, entre les molles voluptés et les jeux cruels qui se partageoient sa vie, du regret de n’avoir pas assujetti une fourmi à sa puissance, et il se reprocha même le mouvement passager de douleur qu’il en avoit ressenti, comme une foiblesse indigne de la majesté souveraine.

Pendant ce temps, la fourmi Termès, descendue dans ses chemins couverts, avoit convoqué son peuple entier ; elle continuoit, avec une infatigable persévérance, à ouvrir de loin mille voies convergentes vers la principale ville de l’homme. Elle arriva, suivie d’un monde de fourmis, sous les fondations de ses édifices, et cent mille noires légions, plus pressées que des troupeaux de moutons, s’introduisirent de toutes parts dans les pièces de charpente, ou allèrent fouiller la terre autour de la base des colonnes. Quand les pierres angulaires de tous les bâtiments ne s’appuyèrent plus que sur des plans inclinés d’un terrain mobile et perfide ; quand les poutres et les solives, rongées intérieurement jusqu’à leur épiderme, et vides comme le chalumeau flétri d’une paille sèche, n’offrirent plus qu’une vaine apparence d’écorce, la fourmi Termès se retira subitement avec son armée de mineurs en bon ordre.

Et, le lendemain, tout Biblos tomba sur ses habitants.

Elle poursuivit ensuite son dessein, en dirigeant ses troupes d’impitoyables ouvriers sur tous les points où l’homme avoit bâti ses villes : et, pendant qu’il fuyoit, éperdu, devant son invisible vainqueur, il n’y eut pas une de ses villes qui ne tombât comme Biblos. Après cela, l’empire de l’homme ne fut plus qu’une solitude, où s’élevoient seulement çà et là des constructions de peu d’apparence, qui annonçoient aux yeux la demeure du conquérant définitif de la terre. Ce grand ravageur de cités, cet envahisseur formidable à qui demeuroit, du