Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/76

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qu’Angélique s’efforçoit de retenir assise pour lui épargner d’inutiles et fatigantes démonstrations de politesse. Je me précipitai vers elle à mon tour, je parvins avec quelque peine à l’empêcher de quitter sa place, et je trouvai, en me relevant de cette altitude d’instance, les deux yeux noirs et profonds de madame Lebrun fixés sur moi comme des ancres de fer.

— Ô mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria-t-elle en se renversant sur son dossier et en se couvrant le front de ses mains… seroit-il possible que votre justice tolérât ce crime encore une fois ! Toujours, toujours, ô mon Dieu !

Ensuite elle laissa retomber ses bras sur les côtés de son fauteuil comme si elles les y avoit incrustés, le corps fixe, immobile, la figure pensive, l’attention, à ce qu’il sembloit, si distraite de nous tous que j’osai la regarder alors avec plus de soin, parce que ses paupières s’abaissèrent. Son habillement, d’un goût fort ancien et d’une élégante simplicité, n’annonçoit que le négligé d’une femme du grand monde, qui aime à s’entretenir dans sa parure ; mais je fus frappé, comme le peuple, du prestige qui l’avoit fait nommer la fée d’ivoire. C’étoit le poli de l’ivoire même, avec ce reflet d’un blond pâle que lui donne le temps. Le sang et la vie avoient entièrement disparu sous la peau lisse et tendue, où se creusoient seulement çà et là quelques rides inflexibles, comme les auroit fouillées l’outil d’un statuaire, et dans lesquelles se cachoient, selon toute apparence, l’histoire et les douleurs d’un siècle. Il auroit été difficile de décider, à son aspect, si la fée d’ivoire avoit été parfaitement belle ; mais je ne doutai pas un moment qu’elle n’eût été charmante, et mon esprit, fertile en palingénésies, la rajeunissoit ainsi, et se la représentoit en souriant au milieu de toutes ses grâces de jeune fille, quand une de ses mains se releva soudainement avec le jeu d’un ressort, et se glissa dans mes cheveux pour m’arrêter près