Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/96

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avoit parcouru, depuis le lever du soleil, sur le revers d’une montagne nue, un sentier âpre et raboteux, sans que l’aspect d’aucune maison vint consoler sa lassitude ; elle avoit eu pour seul aliment quelques racines sans saveur arrachées aux fentes des rochers ; sa chaussure en lambeaux venoit d’abandonner ses pieds sanglants ; elle se sentoit défaillir de fatigue et de besoin, lorsqu’à la nuit close, elle fut frappée tout à coup de l’aspect d’une longue ligne de lumières qui annonçoient une vaste habitation, et vers lesquelles elle se dirigea de toutes les forces qui lui restoient ; mais, au signal d’une cloche argentine dont le son réveilla dans son cœur un étrange et vague souvenir, tous les feux s’éteignirent à la fois, et il n’y eut plus autour d’elle que la nuit et le silence. Elle fit cependant quelques pas encore, les bras étendus, et ses mains tremblantes s’appuyèrent contre une porte fermée. Elle s’y soutint un moment, comme pour reprendre baleine ; elle essaya de s’y attacher pour ne pas tomber ; ses doigts débiles la trahirent ; ils glissèrent sous le poids de son corps : Ô sainte Vierge ! s’écria-t-elle, pourquoi vous ai-je quittée !… Et la malheureuse Béatrix s’évanouit sur le seuil.

Que la colère du ciel soit légère aux coupables ! De pareilles nuits expient toute une vie de désordre ! La fraîcheur saisissante du matin commençoit à peine à ranimer en elle un sentiment confus et douloureux d’existence, quand elle s’aperçut qu’elle n’étoit pas seule. Une femme agenouillée à ses côtés soulevoit sa tête avec précaution, et la regardoit fixement dans l’attitude d’une curiosité inquiète, en attendant qu’elle fût tout à fait revenue à elle-même.

« Dieu soit béni à jamais, dit la bonne tourière, de nous envoyer de si bonne heure un acte de piété à exercer et un malheur à secourir ! C’est un événement d’heureux augure pour la glorieuse fête de la sainte Vierge que nous célébrons aujourd’hui ! Mais comment se fait-