Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

livre où l’esprit domine, se piquent moins d’y démêler un sens exact et clair que de faire preuve d’esprit à leur tour. De quoi les commentateurs vont-ils s’aviser !

Le premier ouvrage, soit par l’ordre du talent, soit par celui de la date, auquel il me paroisse nécessaire d’attacher un bon commentaire explicatif, c’est le Cymbalum mundi de Desperriers. On sait avec quel excès la vindicte de l’Église et celle de la justice se déchaînèrent contre cette production bizarre et hardie, dans laquelle le vulgaire ne voit cependant encore qu’une imitation assez ingénieuse de Lucien. Voltaire, qui a été vulgaire en ce point, n’en porte pas même un jugement aussi avantageux, et le mépris avec lequel il en parle me démontre jusqu’à la dernière évidence qu’il ne l’avoit jamais lue, car personne n’auroit été plus capable d’en goûter le sel et la finesse. Le Cymbalum mundi est un petit chef-d’œuvre d’esprit et de raillerie, un modèle presque inimitable de style dans le genre familier et badin, et un des précieux monuments de notre charmante littérature du XVIe siècle ; c’est aussi un monument de libertinage et d’impiété, comme en jugèrent fort sainement les prétendus ignorants qui le livrèrent aux flammes. Aujourd’hui que la grande erreur philosophique qui y est déguisée avec un art exquis sous de malicieux emblêmes, a été mille fois exposée à nud aux regards de la multitude, il n’y a plus aucun inconvénient à soulever le voile délicat qui la couvre, et cette besogne est bien plus aisée qu’on ne l’imagineroit aux impuissants efforts qu’elle a coûtés jusqu’ici. Prosper Marchand, bibliographe habile, mais littérateur pesant et investigateur maladroit, a pourtant touché à cette découverte, et il l’auroit heureusement mise à fin, s’il avoit eu le bon esprit de suivre son induction. Je ne parle ici ni de la dérision tout-à-fait Lucianique du premier dialogue qui se manifeste d’elle-même, ni de l’allégorie transparente des autres, qui se dispense à merveille d’être expliquée, mais du simple masque des personnages qui révèle toute la pensée de l’auteur, et qui n’est pas plus fin à deviner qu’un anagramme, ou tout au plus qu’une paronymie d’étymologie et de consonnances. C’est un véritable jeu d’enfants, mais les philologues doi-