Page:Nodier - Dissertations philologiques et bibliographiques.djvu/83

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teur de Tristram Shandy eût déjà révélé toute sa puissance dans l’Histoire d’un gros manteau avec un tapabor de l’espèce la plus chaude ? Ses admirateurs conviennent que non. Le talent ne procède pas ainsi de prime allure. Il est comme le papillon nouvellement sorti de la chrysalide, qui traîne quelque temps de lourdes ailes avant de chercher les fleurs ou de s’élancer aux cieux. Tout art demande un apprentissage, et les arts de l’imagination en demandent plus que les autres.

Si l’on veut se transporter d’ailleurs à l’époque où parurent les Grandes et inestimables Chroniques, on verra dans leur conception même un mérite qui n’est pas vulgaire, et qui m’explique, à moi, leur prodigieux succès. La littérature françoise, et surtout la littérature populaire, étoit envahie alors par le roman de chevalerie, si cher à toutes les langues de famille romane, et sur lequel les presses du bon Vérard finissoient à peine de gémir.

C’étoit le roman de chevalerie que le chaland demandoit aux libraires. C’étoit le roman de chevalerie que les libraires demandoient aux auteurs. Supposez un homme de beaucoup d’esprit parmi ceux-ci (ce n’est pas des libraires que je parle), et l’idée de tourner en ridicule ce genre insolemment usurpateur se présentera d’elle-même à son imagination ; mais nous avons dit beaucoup d’esprit, et nous n’en rabattons rien. Il y avoit donc un talent original et d’une haute portée dans l’écrivain qui s’avisa pour la première fois de parodier les fables chevaleresques, et de livrer à la dérision de la multitude ce qui avoit fait jusqu’alors l’objet de son admiration et de son culte. On en jugera par un rapprochement que M. Brunet a