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SYMPTÔMES

rité. On a l’impression d’être à une mascarade où chacun est venu dans un déguisement et en tête. En maintes occasions, comme le jour du vernissage au Salon du Champ-de-Mars, à Paris, ou à l’ouverture de l’exposition de tableaux de l’Académie royale de Londres, cette impression peut s’accroître si sinistrement, que l'on croit cheminer parmi des larves assemblées au hasard, dans un charnier fabuleux, avec des corps dépecés : têtes, troncs, membres, tels qu’on les a trouvés sous la main, et que l’ajusteur a ensuite revêtus, sans y prendre le moindrement garde, des premiers vêtements venus de toutes les époques de l’histoire et de toutes les parties du monde. Chaque individu aspire visiblement à éveiller violemment l’attention par une singularité quelconque de contour, d’attitude, de coupe, de couleur, et à la fixer impérieusement. Il veut exercer une forte excitation nerveuse, agréable ou désagréable, peu importe. Son idée fixe est de produire à tout prix de l’effet.

Suivons dans leurs demeures ces êtres ainsi travestis. Celles-ci sont à la fois des décors de théâtre et des chambres de débarras, des boutiques de brocanteurs et des musées. Le cabinet de travail du maître du logis est une salle gothique avec cuirasses, boucliers et bannières contre les murs, ou un étalage de bazar oriental avec tapis kurdes, bahuts de Bédouins, narghilés circassiens et boîtes de laque indoues. Près de la glace de la cheminée, des masques japonais font des grimaces atroces ou drôles. Entre les fenêtres se hérissent des trophées d’épées, poignards, masses d’armes et vieux pistolets à rouet. Le jour filtre à travers des vitraux qui représentent des saints émaciés en adoration extatique. Les murs du salon sont