Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
FIN DE SIÈCLE

la loi, avec des statuts, un capital social, etc. Cela peut être de la spéculation ordinaire, mais, en général, c’est de la maladie. Le penchant au groupement, qui se révèle chez tous les dégénérés et les hystériques, peut prendre différentes formes. Chez les criminels, il conduit à la réunion de bandes, ainsi que Lombroso le constate expressément [1] ; chez les aliénés déclarés, à la « folie à deux », dans laquelle l’un des malades impose complètement son délire à son compagnon ; chez les hystériques, à ces amitiés vives qui font répéter à Charcot en chaque circonstance : « Les nerveux se recherchent [2] » ; chez les écrivains enfin, à l’établissement d’écoles.

La base organique commune de ces différentes formes d’un seul et même phénomène, de la « folie à deux », de l'association des gens nerveux, de la formation d’écoles esthétiques et de la fondation de bandes de criminels, est, dans la partie active, chez les chefs et incitateurs : la prédominance d’obsessions ; dans la suite, chez les disciples, la partie soumise : la faiblesse de volonté et la suggestibilité pathologique [3]. Le porteur d’une obsession est un incomparable apôtre. Il n’y a pas de conviction raisonnable obtenue par un travail normal de la pensée, qui, autant qu’un délire, s’emparerait aussi complètement d’un esprit, se soumettrait aussi tyranniquement toute son activité, le pousserait aussi irrésistiblement aux paroles et aux actes.

  1. Lombroso, L'Homme criminel, p. 519 et sqq.
  2. Charcot, Leçons du mardis, passim.
  3. Legrain, op. cit., p. 173 : « Dans la prédisposition au délire d’une part, dans la faiblesse intellectuelle accompagnante d’autre part, il faut chercher l’explication réelle des cas de folie à deux ». Voir aussi Régis, La Folie à deux, Paris, 1880.