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L’AVEUGLE



Trente ans à peine, mince, élégant, fort grand air,
Mais le regard voilé de brumes éternelles,
Je le vois, chaque jour, assis devant la mer,
Fixant sur l’horizon la mort de ses prunelles.

Il est seul. Un coupé savamment attelé
L’amène ; le laquais vient ouvrir la portière,
Et, lui prenant le bras, l’a bien vite installé
Sur un banc, seul, tout seul, pour la journée entière.

Un Russe, m’a-t-on dit, riche à vingt millions,
Restant ici l’hiver, sans amis, sans famille.
Le prodigue soleil l’inonde de rayons ;
La foule bigarrée autour de lui fourmille…

Mais que lui font la foule et le soleil en fleur,
Éclatant au zénith comme une orange mûre ?
Du soleil qui reluit il n’a que la chaleur ;
De la foule qui passe il n’a que le murmure.