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doit pas traduire. Or, le langage sommaire qui lui est propre est en harmonie avec le souvenir qui survit en nous à l’éloignement ou à la mort. L’être disparu ne tarde pas à nous apparaître dans ses lignes essentielles, dégagé de toute trace de caducité, de toute lacune physique, comme aussi de toute défectuosité morale. La mort embellit ceux qu’elle arrache à notre amour. Nous les voyons irréprochables, idéalisés, même dans ce qu’ils ont eu de plus fragile au temps de leur pèlerinage terrestre, je veux dire l’enveloppe humaine. Cette tendance généreuse de notre nature désignait le sculpteur pour être l’artisan des tombeaux. Entre tous, d’ailleurs, n’a-t-il pas coutume de travailler la matière durable ? N’est-il pas un tailleur de marbre, un « pétrisseur de bronze »? — Le mot n’est pas de nous, il est de Victor Hugo. — Et la douleur, qui se juge éternelle, ambitionne des manifestations impérissables. C’est ce qui explique encore pourquoi dans les temples où la peinture est cependant à l’abri de l’outrage du temps, on ne conçoit guère le mausolée décoré par le peintre. Le statuaire que nous citions plus haut a dit aussi avec beaucoup de justesse : « La sculpture, plus durable et plus grave sous sa teinte monochrome que la peinture, parut aux Grecs un moyen de rendre avec moins de lacunes la majesté des dieux et des héros, le marbre étant de nature à faire naître dans la pensée une vague sensation d’éternité glorieuse. » C’est le sculpteur, l’homme du marbre et de la pierre, que l’on choisit pour honorer ses morts.

Nous venons de parler des temples. Leur caractère sacré sied aux sépultures. De tous temps, les personnages illustres ont eu leurs tombeaux dans les églises. Florence a Santa-Croce, Venise a la chapelle des Frari, Londres a Westminster, Paris a eu d’innombrables mausolées dans ses églises paroissiales ou conventuelles. Cette tradition que la Révolution a rompue en France revêt à l’étranger un charme particulièrement attachant. Il semble que le silence et la gravité des temples ajoutent au respect que commande par elle-même la mémoire des hommes éminents ensevelis sous les dalles. Je ne sais pourquoi les monuments de Canova, de Titien à Venise, de Vasari, de Galilée à Florence, de Chaucer, de Milton à Westminster ont réveillé en moi des souvenirs d’une intensité que