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FRAGMENTS

toutes les traces sacrées, à avilir par leurs sarcasmes le souvenir de tous les grands événements et de tous les grands hommes, et à dépouiller l’univers de tous ses ornements. La lumière, grâce à son obéissance mathématique et à son impudence, était devenue leur favorite ; ils se réjouissaient qu’elle se laissât briser plutôt que déjouer avec les couleurs ; aussi nommaient-ils, d’après elle, leur siècle, un siècle de lumières. En Allemagne, on travailla plus à fond. On réforma l’éducation. On chercha à donner à l’ancienne religion un sens plus neuf, plus raisonnable, plus vulgaire, en lui enlevant soigneusement tout son côté miraculeux, mystérieux. Toute érudition cessa, afin de couper tout recours à l’histoire, car on s’occupait à faire noblement de l’histoire un « tableau de genre », familier et bourgeois. Dieu devint le spectateur désœuvré du grand et émouvant spectacle que donnaient les savants, et, à la fin de la pièce, il avait à héberger solennellement le poète et les acteurs, et à les admirer. Le menu peuple fut éclairé, de préférence, et accoutumé à un enthousiasme civilisé ; et ainsi naquit une nouvelle tribu européenne ; celle des philanthropes et des éducateurs. Mais quel malheur que la nature demeurât si étonnante et si incompréhensible, si poétique et tellement infinie, malgré tous les efforts qu’on fit pour la moderniser !… Si, par hasard, émergeait quelque part le reste d’une croyance superstitieuse à un monde plus haut, de tous côtés, on sonnait l’alarme, et là où c’était possible, on étouffait dans la cendre, sous la philo-