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FRAGMENTS

on aperçoit maintes œuvres très médiocres admises dans le musée, tandis que la plupart des écrits qu’on tient pour excellents en sont exclus. Les Italiens et les Espagnols ont infiniment plus de talent artistique que nous. Les Français mêmes n’en manquent point. Les Anglais en ont beaucoup moins, et se rapprochent de nous, qui possédons très rarement le talent artistique, encore qu’entre toutes les nations, nous soyons une des plus richement pourvues de ces propriétés spéciales que l’intelligence apporte dans ses œuvres. C’est cet excès même d’aptitudes artistiques qui fait que chez nous les rares artistes semblent uniques et sont mis au premier plan ; et nous pouvons être assurés que chez nous naîtront les plus belles œuvres d’art, car, pour l’universalité énergique, aucune nation ne peut lutter contre la nôtre. Si je comprends bien les plus récents amis de la littérature antique, ils n’ont, lorsqu’ils exigent l’imitation des écrivains classiques, d’autre but que de faire de nous des artistes, d’éveiller en nous le talent artistique. Nulle nation moderne n’a eu l’intelligence de l’art au même degré que les anciens. Tout chez eux est œuvre d’art. Mais peut-être n’est-il pas téméraire d’affirmer que leurs œuvres ne sont ou ne deviennent œuvres d’art qu’à nos yeux. Il en est de la littérature classique comme de l’antiquité plastique. Elle ne nous est, à proprement parler, pas donnée, nous ne l’avons pas devant nous, il faut d’abord que nous la produisions nous-mêmes. C’est par l’attentive et l’intelligente étude des anciens que naît pour nous une litté-