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FRAGMENTS

vécues, pour en obtenir ce jugement, cette loi ; et se convaincre de son exactitude. Cela lui donna l’occasion d’inventer la fable. Il composa une aventure, une formule hiéroglyphique, qui ne contenait rien de la thèse, et était si physiognomoniquement parlante, qu’on ne pouvait manquer son âme ; qu’à l’entendre, qu’à voir cette imitation spirituelle, nécessairement, il fallait imiter aussi la thèse qui y était cachée : et en même temps, puisqu’on imitait consciemment une œuvre humaine, le résultat d’une intention déterminée, il fallait que l’attention mît à part cette même thèse, et reconnût en elle le but de l’œuvre. Plus l’art est fruste, plus est frappante la contrainte de la matière. L’artiste n’attache pas d’importance à la beauté, à l’équilibre de la forme. Il ne veut autre chose qu’une expression sûre de son intention ; et n’a d’autre but qu’une communication compréhensible. Plus l’état général des esprits est élémentaire, plus les esprits ont de peine à deviner, plus il faut que l’opération soit brève et simple ; moins il faut qu’on la voile, moins il faut que l’intention, la pensée, soit attachée à la matière. Il faut que l’âme de l’œuvre flotte aussi nue que possible à la surface. Il faut qu’elle se fasse importunément reconnaître dans les mouvements trop tendus et non naturels ; et dans les modifications de la matière caricaturisée. La raison et la divinité ne parlent pas, à ces époques, d’une manière assez distincte, assez frappante, par la bouche d’un homme. Les pierres, les arbres, les animaux doivent parler, pour que l’homme se sente lui-même et réfléchisse sur lui-même. L’art est d’abord hiéroglyphique.