Page:Novalis - Les Disciples à Saïs, 1914, trad. Maeterlinck.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
LA NATURE

le plus clairement. Lorsqu’on lit ou qu’on écoute un poème véritable, on sent s’émouvoir une intelligence intime de la nature, et l’on flotte, comme le corps céleste de celle-ci, à la fois en elle et au-dessus d’elle. Les savants et les poètes ont toujours eu l’air d’appartenir au même peuple ; ils parlaient la même langue. Ce que les uns rassemblaient en un tout, et établissaient en masses vastes et ordonnées, les autres l’ont élaboré pour la nourriture et les besoins quotidiens, et ont divisé et transformé cette nature illimitée en éléments variés, agréables et mesurés. Tandis que les uns s’intéressaient surtout aux choses fluides et fugitives, les autres cherchaient, à coups de hache et de pioche, à découvrir la structure intérieure et les rapports des diverses parties. La Nature amie périt entre leurs mains et ne laissa que des restes palpitants ou morts, tandis que chez le poète, comme si elle eût été animée par un vin généreux, elle faisait entendre les sons les plus sereins et les plus divins. Élevée au-dessus de la vie quotidienne, elle montait jusqu’au ciel, elle dansait et prophétisait, accueillait tous les hôtes et prodiguait ses trésors avec joie. Elle connut ainsi, avec le poète, des heures divines, et n’appela le savant qu’aux moments où elle était malade et où sa conscience la troublait. Elle répondit alors à toutes ses questions et respecta l’homme grave et sévère. Celui qui veut bien connaître son âme doit la chercher en compagnie du poète, c’est là qu’elle est ouverte et que son cœur merveilleux se répand. Mais celui qui ne l’aime pas du fond