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par leurs fulgurantes victoires, ils furent amenés à l’adoration de la force brutale. Ils déclarèrent hautement qu’elle primait le droit, trouvèrent tout naturel qu’elle menât le monde, prétendirent que les vaincus n’avaient pas lieu de protester et assurèrent qu’ils devaient simplement se soumettre à leur sort.

Mais, si paradoxal que cela puisse paraître, la guerre de 1870 augmenta aussi la popularité du darwinisme en France ! Il semblerait que ce pays, ayant subi une violation flagrante de ses droits, dût trouver la force abjecte et le droit admirable. Et pourtant il n’en fut pas ainsi. Comment expliquer cette apparente contradiction ? Elle tient à des causes très complexes, qu’on peut cependant démêler sans trop de peine.

Après les défaites de 1870, l’esprit public français aurait pu suivre deux directions différentes. Les Français auraient pu dire : « Nous avons subi une injustice odieuse. Il faut donc faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que des attentats internationaux de ce genre ne puissent pas se répéter. Il faut tâcher de supprimer l’injustice, en d’autres termes, travailler à l’union internationale. La force est abjecte, le droit seul est beau. À bas la force, vive le droit ! » Mais une autre conclusion était aussi possible : « La puissance militaire des Prussiens nous a infligé les humiliations les plus dures et les tourments les plus cruels. Si la force avait été de notre côté, c’est nous qui aurions goûté les ivresses du triomphe, et ce sont les Prussiens qui auraient éprouvé les amertumes de la défaite. Rien n’est plus utile que la puissance. À bas le droit, et vive la force ! » Depuis des siècles, la France avait été une nation formidable, belliqueuse, fière, grisée de succès. Deux fois elle avait exercé une hégémonie incontestée en Europe : sous Louis XIV et sous Napoléon ; la France avait usé et abusé de la force. Elle ne put se consoler de l’avoir perdue. Quand il fallut bien s’y résigner, la force lui parut plus belle et plus enviable que jamais. Elle l’adora avec un redouble-