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le vainqueur peut s’attribuer une nourriture plus abondante et plus raffinée, et condamner le vaincu à une nourriture moins abondante et plus grossière, mais qui lui permet cependant d’arriver au terme normal de la vie. Des hommes pauvres, avec une cuisine frugale, atteignent parfois un âge que n’atteignent pas toujours les nababs avec la cuisine la plus exquise. Les degrés intermédiaires sont infinis. Ils peuvent se rapporter à tous les besoins humains : le vêtement, l’habitation. Le vainqueur peut être mis d’une façon splendide, mais le vaincu peut être habillé de manière à se préserver de l’intempérie des saisons. De même, on peut parvenir à la vieillesse aussi bien en habitant une chaumière qu’en habitant un palais. Enfin, au bout de la série, nous avons les satisfactions d’amour-propre. Le vainqueur obtient des applaudissements, des honneurs qui sont refusés au vaincu. Ce dernier éprouve certainement une souffrance, mais qui ne l’empêche pas d’arriver au terme de la vie normale. Il doit se contenter seulement du second rang au lieu du premier.

Je dois signaler avant tout que les luttes pour une plus grande intensité de la vie se livrent au sein des sociétés animales aussi bien qu’au sein des sociétés humaines. Chez les singes, le vieux mâle chasse du troupeau ses jeunes concurrents. Il garde donc la satisfaction de commander aux femelles et aux petits qui se groupent autour de lui. Une hiérarchie s’établit dans le troupeau : le vieux mâle a plus d’autorité, donc plus de jouissances. Dans les sociétés humaines, la hiérarchie prend une importance énorme. En réalité, les hommes luttent entre eux précisément pour monter aux échelons supérieurs de la hiérarchie. Ce n’est pas alors la destruction des adversaires qui constitue la jouissance, c’est la situation relative occupée au sein de la communauté.

Voilà pourquoi les comparaisons entre les luttes individuelles des animaux et les luttes des hommes au sein des sociétés sont fondamentalement fausses. Dans les pre-