Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/106

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lourdes de lait. Les moutons surtout le surexcitaient étrangement. Quand ils défilaient en bon ordre, sous la garde du berger qui marchait devant et de ses chiens qui flanquaient le troupeau, le maintenaient en colonne serrée, il ne pouvait se défendre d’une exaltation mauvaise. Derrière les barreaux de la grille, agité, nerveux, humant à pleines narines l’odeur forte de suint qui emplissait la rue, il s’essayait à des bonds de gymnaste, à des élans de fauve. Et ses yeux, qu’attisaient la violence de sa haine et les lueurs du soleil couchant, brûlaient comme deux petits brasiers.

Pour les gens, s’il ne les aimait pas, il aimait les voir passer, mais sans démonstration. Je suis sûr que son pessimisme prenait un âpre plaisir à se cultiver, en observant ces allures sournoises et lassées, ces dos pesants, ces visages méchants, dont la fatigue augmentait encore l’expression haineuse et cupide.

Et puis, il y avait les chiens.

Ce qui l’avait attiré là, tout d’abord, c’étaient les chiens.

Il y en avait de toutes les formes, de toutes les origines, des grands et des petits, des blancs et des noirs, des rouges, des fauves, des bleus, des gris ; des jeunes ardents et folâtres, des vieux mornes