Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/177

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— Enfermez le chien… commandais-je. C’est peut-être le notaire.

Et un beau jour, par un merveilleux matin d’avril, j’appris que maître Anselme Jolilon, de même que maître Léonce Vertbled, était parti, dans la nuit, emportant mon argent, tout l’argent du pays. Il ne laissait, pour nous consoler, que les plans au lavis bleu de l’usine de cyanure d’or, sa femme neurasthénique, La mort de Marceau et le portrait de Mme Récamier…

Alors, ce fut quelque chose de tout à fait hideux.

Réveillé, en sursaut, par cette nouvelle, le village poussa un long hurlement. Il se porta en masse, devant l’étude du notaire, contre laquelle furent lancés, avec les injures les plus violentes, des pierres, des culs de bouteilles, des morceaux de fer ramassés dans la rue. S’excitant l’un l’autre et ayant brisé toutes les vitres, ils pénétrèrent dans la maison, qu’ils voulurent mettre au pillage. Il n’y avait rien… rien que les cartons et les paperasses. Mais leurs grosses mains, leurs mains furieuses se retirèrent d’elles-mêmes et comme subitement effrayées à l’idée de violer ces choses si sacrées. Il y avait aussi Mme Joliton… Elle s’était levée au bruit, se présentait au haut de l’escalier, les cheveux dénoués, épars sur la poitrine, presque nue, hagarde.