Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/18

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paupières boursouflées. Sur le ventre rose, plein, glabre, tacheté de roux, un reste séché de cordon ombilical se tortillait comme un ver… Un chien au maillot, si j’ose m’exprimer ainsi. J’étais furieux.

Soit ironie, négligence ou routine, l’expéditeur, en guise de provisions de bouche pour le voyage, peut-être en guise de hochet, avait dérisoirement placé à portée des dents et des pattes du pauvre animal, qui ne pouvait jouer ni manger et qui d’ailleurs n’avait pas de dents, un formidable os de gigot, luisant comme un morceau d’ivoire, et une énorme tranche de pain aussi dure que du ciment. Il paraissait affamé et, plus encore qu’affamé, indigné par l’inconvenance d’un régime alimentaire tel qu’on le pratique dans les maisons de bienfaisance. Dois-je noter, pour compléter la comparaison, que les parois et le fond de la boîte étaient tout souillés de déjections ? Il s’en exhalait une odeur écœurante de lait aigre, de sérosités fermentées, particulière aux enfants charitablement élevés dans les crèches.

Dès que je l’eus caressé, — oh, bien timidement, et cela me fut désagréable, car j’ai une répulsion physique invincible pour tous les nouveau-nés, — il se mit à trembler, puis à pousser des plaintes et des cris de protestation… Des cris de protestation, je dis bien. Cette précocité si rare m’émerveilla.