Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/244

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le monde de la science, même parmi ses ennemis, une réputation de grand individualiste, de grand lutteur, dont il aimait à se parer et à laquelle lui, sa femme, ses amis et moi-même nous croyions fermement, comme nous croyions fermement à son génie.

Il disait toujours, avec une conviction ardente.

— Luttons, mes amis… luttons… La vie n’est qu’une lutte continuelle.

Sa femme lui disait, quand elle le voyait affaissé ou las.

— Toi qui es un lutteur !… Je ne te comprends pas…

Ah ! comme je les aimais tous les deux !

Ils avaient une petite fortune que Mme Legrel avait apportée en mariage. Elle l’administrait avec beaucoup d’intelligence et d’adresse. Leur intérieur était sans luxe, plein de confort et de gaîté. Recevant sans pose, mais avec largesse, des disciples, des amis heureux de se grouper autour du grand savant, ils trouvaient encore le moyen de faire du bien autour d’eux. J’ai su que, bien des fois, ils avaient aidé discrètement quelques jeunes gens qui, sans protections, sans autres ressources que leur foi en la science et en Legrel, avaient embrassé cette carrière encombrée, ardue, si fertile en déceptions de toute sorte. Ils vivaient