Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/250

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valeur. Vraiment, je ne savais à quoi attribuer cette discrétion, je ne veux pas dire outrageante, mais qui me blessait un peu.

Il est vrai qu’il ne me parlait pas plus de mes travaux que des siens. Jamais il ne m’avait exprimé son opinion sur un de mes livres, une de mes pièces. Je suis sûr qu’il ne les aimait pas. Mais ne pas les aimer au point de n’en parler jamais, cela m’était affreusement pénible et me jetait souvent en de profonds découragements. Je ne pouvais non plus rien savoir de sa pensée par Mme Legrel, pour qui rien ni personne n’existaient en dehors de son mari et qui n’arrivait pas à concevoir qu’on pût s’intéresser dans la vie à autre chose qu’aux muscles de l’araignée. De chacune de mes visites, de moins en moins fréquentes d’ailleurs depuis quelques années, je rapportais un redoublement d’angoisses et de doutes sur mon art et sur moi-même. Les huit jours qui suivaient, j’étais le plus malheureux des hommes, dégoûté de moi, dégoûté de tout, incapable de travail et d’espoir.

— Non… non… plus jamais, je ne retournerai chez ce Legrel… me promettais-je. Je l’aime bien… Je l’admire de toutes mes forces… je l’admire tellement, que je ne sais même pas pourquoi je l’admire… mais il me déprime trop… Il fini-