Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/265

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vagabondes et leur goût pour la musique. Mais celui-ci simula de ne pas m’avoir entendu. Il dit à sa femme, d’une voix énervée :

— Cette tarte est détestable.

Elle répondit, tristement, en s’excusant :

— C’est pourtant moi qui l’ai faite, mon ami…

— Je ne dis pas le contraire, insista-t-il. Je dis qu’elle est détestable. Voilà tout.

Je me sentis devenir furieux. Oui, vraiment, j’éprouvai contre Legrel une haine subite, violente. Je ne pouvais lui pardonner d’éluder une fois de plus, et si grossièrement, sa réponse à des questions naturelles, polies. Je ne pouvais lui pardonner non plus d’adresser à sa femme un reproche injuste, stupide ; car la tarte était délicieuse.

— Elle est délicieuse… délicieuse… délicieuse… clamai-je sur un ton agressif… Elle est extraordinaire cette tarte… Elle est inouïe…

Legrel me regarda à la dérobée, avec des yeux un peu méchants, puis haussa légèrement les épaules.

J’avais envie, j’avais besoin, un besoin physique, de l’injurier. Je sus me contenir. Mais du fond de mes plus lointains souvenirs, rapprochant, arbitrairement d’ailleurs, certaines paroles de certains gestes, certains actes de certaines