Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/269

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pesante. Il était un peu congestionné et un peu gêné. Visiblement, il éprouvait le besoin de me montrer plus d’affection que jamais.

— Ah ! mon vieil ami… mon vieil ami !… me disait-il de temps en temps.

Je sentais bien qu’il cherchait à me dire autre chose. Je sentais aussi qu’il ne trouvait pas ce qu’il eût voulu me dire. Et c’était infiniment touchant. Sans doute, durant ce déjeuner, il s’était passé en lui ce qui s’était passé en moi. Il avait eu de la haine contre moi, il m’avait injurié tacitement, mais violemment, comme je l’avais fait moi-même. Et il s’en repentait. Et sous l’influence de ce repentir qu’activaient toutes les douceurs d’une digestion heureuse, ses yeux débordaient de tendresse, de cette tendresse véhémente qu’il n’arrivait pas à exprimer par des paroles. Et il n’arrivait qu’à répéter chaque fois en y mettant plus de force, plus d’émotion et plus d’embarras :

— Mon vieil ami !… Ah ! mon vieil ami !

Pour se donner une contenance plus aisée, il évitait de piétiner les insectes, m’en nommait parfois quelques-uns — qu’est-ce qu’il risquait ?  — et il affectait de suivre avec intérêt leurs évolutions dans l’herbe. Mais, réellement, il ne suivait que les remords de son âme. J’avais envie de pleurer. Moi aussi j’aurais voulu lui dire des