Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/353

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dans celui qui est mieux mis, plus instruit, plus policé qu’eux, l’ennemi d’autrefois… C’est de l’atavisme… Et puis…

Après avoir fait un retour sur moi-même, sur les préjugés, les haines de classe, les habitudes orgueilleuses qu’on ne peut pas toujours effacer de sa vie privilégiée, après avoir embrassé, dans un éclair de la pensée, tout l’abaissement, toute la hideur de ce règne bourgeois qui dure depuis la Révolution, j’ajoutai :

— Et puis, ils n’ont pas toujours tort, allez !…

— Allons donc ! riposta l’instituteur… Ils savent très bien qu’ils sont tout, aujourd’hui, qu’ils ont tout !… On ne fait des lois que pour eux… des lois criminelles, sauvages. C’est pour eux qu’on maintient le pain cher, la viande hors de prix… qu’on affame l’ouvrier… le petit employé… le petit contribuable, succombant de plus en plus sous le poids de l’impôt !… Dame ! Ils sont la masse électorale… C’est bien le moins qu’on nous dépouille pour les enrichir… Tenez !

Et il me montrait le tas des maisons endormies, toutes noires, sous le ciel sans lune :

— Oui, ce village qui a l’air d’une ruine… qui sent la crasse et le fumier… ce village sordide qui pue la misère… eh bien, il crève d’or… Ils sont tous riches ici… stérilement riches… Ils dorment sur leurs sacs d’écus, cachés dans des paillasses