Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/370

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de berger, qui tournait autour d’eux, comme autour d’un vrai troupeau ; quatre moutons si effarés par les cornes des tramways, par le bruit des voitures, par tant et tant de passants, qu’ils avaient d’eux-mêmes renoncé à fuir et qu’ils allaient droit devant eux, serrés les uns contre les autres, comme s’ils n’étaient qu’une seule bête. Leurs quatre dos faisaient une seule masse zigzagante.

Dingo s’élança.

— Dingo !… Dingo !

Il s’arrêta et tourna vers moi sa tête. Comme un chien d’évangile, qui confesserait son indignité, il semblait dire :

— Je ne peux pas… je ne peux pas… C’est plus fort que moi.

Il repartit et déjà je pensais au mouton d’Irène Legrel.

Heureusement, une voiture lui barra le passage. J’eus le temps de l’atteindre, de le prendre au collier, de lui passer une laisse.

Alors, il n’essaya pas de m’échapper. Mais il ne pouvait me suivre. Je tirai sur la laisse. Il se fût plutôt laissé étrangler. Et, la langue pendante, les jambes tremblantes, le souffle bruyant et rapide, il regardait d’un œil égaré les moutons qui s’éloignaient.