Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/373

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Quant au voleur, immobile devant l’agent, il donnait d’inutiles explications, comme s’il eût voulu se convaincre lui-même. On ne l’écoutait même pas. Il n’était d’ailleurs pas autrement troublé. Il était plutôt déçu. N’était le sang qui coulait de sa gorge et tachait ses vêtements, on l’aurait pris, à le voir s’éponger avec un mouchoir crasseux, pour un homme qui se repose après une course trop violente. C’était un pauvre diable, à peine loqueteux, coiffé d’une casquette anglaise, grise et plate, chaussé de vieux souliers pointus, d’anciens souliers de bal. Ses mollets étaient serrés dans des jambières aux torsades inégales. Il portait une petite moustache tombante, qui recouvrait complètement sa lèvre supérieure. Il avait sur son visage déçu et jaune cette moue singulière, cette expression de dégoût qui est la marque de ceux qui luttent dans la vie sans rien espérer de meilleur.

L’agent le prit par la manche et lui dit :

— Suivez-moi au commissariat.

Et s’adressant à moi, il ajouta très poliment :

— Il faudrait aussi que vous veniez avec le chien, pour témoigner.

L’homme s’apprêtait à obéir. Il s’épongeait la gorge sans se plaindre, avec la tranquillité d’un soldat qui, blessé sur le champ de bataille, se félicite d’avoir échappé à la mort.