Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/400

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Il répéta :

— Vieux zèbre, va…

Il n’y avait place en sa figure pour aucune amertume, pour aucun souci, j’allais dire pour aucune pudeur. Il était petit et corpulent. Son visage était rond, terriblement rond, franc, terriblement franc. Il y avait dans la cordialité de Pierre Barque quelque chose d’absolu et de démesuré. On comprenait qu’en lui enlevant sa cordialité, on lui enlèverait aussi la vie. Barque était cordial, comme l’eau est mouillée, comme la pierre est dure. Ah ! que je l’ai souvent envié ! Que j’ai envié son calme moral et sa force d’âme et ses chansons ! Car il chantait toujours… Je me souviens qu’il avait, durant l’espace d’une année, perdu successivement son père, sa mère, ses deux sœurs, une maîtresse qu’il adorait, trois mille francs de rente engagés dans une spéculation hasardeuse et, loin de se laisser abattre par le malheur, il savait, au contraire, y puiser une gaîté plus bruyante. À chaque coup du destin, il disait :

— Soyons un zèbre, nom d’un chien !

Je lui demandai :

— Pourquoi ne te voit-on plus ? Qu’est-ce que tu deviens ?

— Ce que je deviens… Tu ne sais pas ?… Elle est bonne celle-là… Ah ! par exemple, elle est très bonne… Tu ne sais pas ?