Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après quoi, il travailla d’une main adroite et savante l’absinthe que le garçon venait de verser dans son verre.

Quand il en eut savouré, selon ses rites, quelques gorgées :

— Es-tu content ? lui demandai-je.

— Mais oui… mais oui… toujours content.

— Et qu’est-ce que tu peins ?

— Des fleurs, des bêtes, des gens, des arbres, des ciels… je peins de tout.

— Ce vieux zèbre !

— Ça t’épate, hein ? Au fond, tu ne te doutais pas que je deviendrais, comme tout le monde, un artiste. Allons, avoue-le. Ça ne m’humilie point. Et tu sais, ça ne chôme pas, chez moi, les tableaux. Aussitôt faits, aussitôt vendus. Je ne te dirai pas que ça enfonce Botticelli et ce zèbre de Velasquez… non bien sûr… mais ça vaut bien Jean Béraud. Ce que je réussis le mieux, ce sont les lièvres, mon vieux lapin ! Tu vois cela hein ? Des lièvres pendus à un clou, par la patte de derrière, sur un fond de serviette éponge… Je puis en faire dix par jour… et je les vends deux louis pièce… Avec ça, on est un zèbre dans la vie.

Et il m’appliqua une forte claque sur la cuisse.

Puis il se renversa sur sa chaise, la maintenant en équilibre instable sur les deux pieds de derrière, et il s’écria en désignant Dingo :