Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/71

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de la main, aux prédictions somnambuliques, à saint Antoine de Padoue, à tous les jeux, grands et petits, de la bonne aventure, disait que du marc de café les yeux de Dingo avaient la couleur profonde, les translucidités mystérieuses, les épaisses ténèbres, le sens, ou plutôt, le caractère surnaturel. À force qu’elle le dît et le redît, je ne pouvais, malgré moi, sans vertige et sans angoisse, supporter longtemps leurs regards, des regards aigus et pesants à la fois qui, me semblait-il, pénétraient en moi, s’enfonçaient en moi, dépouillaient de leurs mensonges mes pensées les plus secrètes, de leurs ignominies mes désirs les plus bas, me vidaient l’âme jusqu’à la vase.

Je dois vous paraître et j’avoue que je me parais à moi-même bien ridicule, à faire revivre ainsi sur les suggestions d’une cuisinière, dans l’œil d’un chien, — pourquoi pas dans une bille d’agate, une boule de cornaline et dans un petit morceau de jade ? — tant de choses en allées, tant de spectres à jamais disparus avec les vieux grimoires : magie, sorcellerie, surnature, extranature, âme, Dieu lui-même. Mais qui donc, s’il n’est pas une brute insensible, a pu considérer de sang-froid, sans terreur, l’œil d’un chien, voire l’œil d’une mouche ou d’un vaudevilliste ? Qui donc a pu en soutenir les regards vivants, sans se dire avec désespoir qu’on ne sait rien,