Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/172

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foulard rouge autour du cou. L’un dansait, l’autre chantait.

Il chantait :

Dans mon pays, il y a des forêts,
Dans les forêts, il y a des arbres,
Dans les arbres, il y a des branches,
Dans les branches, il y a des oiseaux,
Et dans les oiseaux il y a une musique,

Une espèce de petite flûte qui fait : « Pipi… pipi… pipi… ».



L’Évangéliste.


On m’a montré, assis sur une pile de bagages, devant un steamer en partance, un compatriote. C’est un missionnaire. Barbu, botté, sanglé de cuir, coiffé d’un trop hâtif casque colonial, la soutane graisseuse et retroussée comme une capote de soldat, il s’initie au mécanisme d’un revolver Browning, dont l’étui est fixé à sa ceinture, près d’un chapelet à gros grains. Sa figure bronzée est énergique, ses yeux rieurs sont très doux. Quand il rit, il ouvre une bouche de scorbutique, toute noire et sans dents. Un brave homme, sûrement, et qui a plutôt l’air d’un bandit que d’un apôtre… Cela me rassure. Je l’aborde. Nous causons… Il part pour les îles Fidji… il emporte avec lui toute une cargaison de gramophones.

— Vous n’imaginez pas, me dit-il, comme ces bougres de nègres-là sont bornés, têtus !… C’est curieux…, je ne peux pas arriver à les évangéliser… J’ai essayé de tout… Rien… rien n’y fait… Des murs… Le bon Dieu, la Vierge, saint Joseph, les joies du Paradis ?… Ah ! bien oui…