Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/182

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Des enfants qui lui restaient, ses deux fils, dont l’un s’était marié et avait une petite fille, travaillèrent, à la gare, comme porteurs…

— Si faibles, mossié, si faibles… et malades !…

La fille se mit à vendre des oranges et de l’ail…

— Des oranges !… des oranges !… La pauvre Sarah !

Mais ils le désolaient. Tous étaient affiliés au Bound, en révolte ouverte contre le gouvernement et la société.

— Rouges, rouges, mossié… tous rouges !… Ach !

Quand il s’entêtait, dans d’interminables discussions, à répéter que les juifs sont noirs par vocation, qu’ils doivent être noirs, c’était le rabbin qui venait au secours des enfants.

— Oui, disait-il, les juifs sont noirs de nature, mais quand on les fait bouillir, ils deviennent rouges… rouges comme des écrevisses…

Et le rabbin riait un peu, heureux de sa comparaison.

— Ça dévait mal finir… Ça a mal fini… Lé gouvernément a tant dés fusils, et même les canons… Et eux, ils montraient les révolves, les pauvres révolves… Bêtise ! Pour un sergent dé ville blessé, un mossié général qui saute dé la voiture, cent juifs tués… trois cents juifs avec du sang !…

Un soir qu’il aidait son patron à faire des comptes avec un gentilhomme venu pour traiter une affaire… ils avaient entendu des salves de coups de fusil, au loin d’abord, puis proches… puis tout près, dans la rue… et une volée de balles, au travers des vitres en éclat, avait sifflé dans la pièce, qui était un premier étage…

— Une autre ville, mossié… mais les mêmes balles… les mêmes balles !

Ils se jetèrent à plat-ventre, essayèrent de gagner, en rampant, la chambre voisine qui donnait sur la cour. Une nouvelle volée de projectiles abattit la suspension. Dans