Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/245

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D’un air navré, il me montre une table de bois noirci, sur laquelle, parmi de la poussière, s’empilent des cartes postales et des catalogues illustrés qu’on ne vend jamais…

— Mon Dieu, oui !… Voilà !… C’est comme ça…

Ensuite, avec amertume, il me raconte, qu’au moment de l’ouverture du musée, on lui avait donné, pour attirer les visiteurs par une mise en scène bien couleur locale, un vaste chapeau boër, une sorte de veste khaki, et des guêtres de cuir… Au moins, ç’avait de l’allure…

— Et j’avais une cartouchière sur la poitrine… Maintenant, soupire-t-il… je n’ai même pas, comme tous mes collègues, une casquette galonnée…

Il se tait, et puis reprend :

— Il y a, tout près d’ici, sur une place… une espèce de baraque, où l’on exhibe des nègres qui avalent des sabres et qui mangent de la bourre de mouton… Eh bien, elle ne désemplit pas…

J’ai retenu le geste qui accompagna cette plainte, un geste qui en disait beaucoup plus long, sur la frivolité des foules et l’ingratitude de l’histoire, que tout un discours.

Il dit encore :

— Le président Krüger est passé, un jour, par Dordrecht… Eh bien, monsieur, il n’est même pas venu au musée. Le président Krüger !… Parfaitement !… Ah ! ah ! ah !

Dans cette solitude, où nos pas sonnaient lugubrement, où le jour crasseux enveloppait les objets comme d’un voile funèbre, j’avais le cœur serré. Et je me disais :

— Pourtant la résistance acharnée de ces rudes fermiers, qui prétendaient ne tirer de la terre que le seul or du blé et n’y enfoncer que le soc de la charrue, valait bien