Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/253

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sortir de table, j’ai rencontré mon ami Weil-Sée, mon meilleur ami, mon cher Weil-Sée, que, depuis des années, je n’avais pas revu…

Nous nous sommes embrassés à plusieurs reprises… Mon ami Weil-Sée est un des rares hommes que j’embrasse et qui m’embrasse, et nous nous embrassons, depuis une quarantaine d’années, toutes les fois que nous nous séparons ou retrouvons, c’est-à-dire tous les cinq ou six ans.

— Vous ici ?… Vous ici ?…

Et j’essuyai, à la dérobée, la plus mouillée de mes joues…

Il me considérait en souriant, mais sans répondre…

— Vous n’êtes donc plus à Grenoble ? Je vous croyais à Grenoble… riche… heureux ?… Et votre usine d’énergie électrique ?… Vous n’êtes donc plus marchand d’énergie ?

À toutes mes questions, il secouait la tête, et il souriait.

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

Je connais trop mon ami Weil-Sée pour imaginer qu’il pût vivre en Hollande, n’importe où d’ailleurs, sans motifs sérieux… Je savais sa sagesse à trouver du plaisir en tout, mais à le trouver, principalement, dans un frémissement d’activité toujours nouvelle. S’il était en Hollande, ce ne pouvait être que pour quelque découverte fabuleuse, pour quelque colossale entreprise.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que vous faites ici ?

Et je répétai :

— Vous n’êtes donc plus marchand d’énergie à Grenoble ?

— Non… se décida-t-il à me répondre enfin… Je ne suis plus marchand d’énergie. Je place des risques… je place