Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/313

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Ma rêverie se perdait, au loin, dans le polder, au-dessus duquel des vols de vanneaux tournaient. Il s’étendait à l’infini, avec ses rares peupliers, hauts et graciles, ses troupeaux, les routes brillantes de ses eaux qui se croisent, et ses vannes qu’actionnent de tout petits moulins à vent… Puis le polder finit, la digue devint une route ; apparurent des petits bouquets de bois et des champs de sable, diaprés de tulipes et de narcisses, dont la magnificence – je ne suis pas fâché d’en convenir – ne fait pas oublier celle de nos coquelicots et de nos sanves sauvages.

Tout à coup, à notre gauche, je distinguai le menu troupeau – deux vaches et trois moutons – que gardait une petite bergère blonde, jolie malgré sa taille carrée et son court jupon, aux plis lourds… Un grand chien, disproportionné, était paisiblement couché de l’autre côté de la route… Il avait l’air de dormir… Sa tête barbue reposait, entre ses pattes allongées…

Le malheur voulut que la fillette aperçût la voiture, se dressât, groupât son petit monde, se retournât en quête du chien, et, comme nous allions passer – pas très vite, pourtant, – l’appelât.

— Ploc ! Ploc ! Ploc ! fit la dame.

— Moussu ! Moussu ! cria Brossette.

Mais rien n’empêcha le stupide héros de la fidélité de traverser la route, si près de nous, qu’en dépit du plus violent tour de volant, il disparut, engouffré sous le carter.

J’éprouvai une forte secousse… J’entendis comme un craquement d’os, sous les roues… puis la voix funèbre de Brossette :

— Ah ! la chale bête !

Je vois encore – je verrai longtemps – ce beau chien, son grand corps velu se remettre debout, anguleux,