Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/362

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Von B… respira, un moment. J’admirais son endurance à dire tant de paroles. Il continua en souriant :

— Le vieux Guillaume… « l’inoubliable grand-père »… oui… ah ! je me souviens… On avait eu beau le couronner Empereur à Versailles, il était rentré à Berlin bon roi de Prusse, comme devant… Ce n’était qu’une espèce de hobereau heureux, dont Napoléon III avait fait un conquérant malgré lui… Il faut dire qu’il était bien servi… Roon, Roon, surtout, – on ne parle que de Bismarck et de Moltke – mais il faut que vous lisiez Roon… celui qui mettait Bismarck en avant, le dirigeait, et ne se défiait que de son ivrognerie… Quelqu’un, ma foi, de génie !… Oui, Guillaume était mieux que bien servi… Ce maître, après tout débonnaire, avait des domestiques ambitieux. Ils lui avaient déjà apporté d’assez bonnes affaires… J’entends : les duchés, Sadowa… Ces succès lui suffisaient, car ce brave homme n’a jamais fait figure de conquérant ; du conquérant, il n’avait pas l’âme sauvage et violente. Savez-vous qu’il ne passa le Rhin qu’en rechignant ?… C’était trop… Il avait peur… Savez-vous aussi que bombarder Paris lui parut une énormité ?… Bombarder Paris !… Il aurait mieux aimé rentrer chez lui… Il fallut le prier, le supplier, lui arracher, tout au moins, par ruse, l’ordre de tirer le premier coup de canon… Oh ! ce n’est pas lui qui eût jamais pensé à des milliards !… Ce n’est, d’ailleurs, qu’à force de champagne – ça, c’est la vérité – que Bismarck se monta, peu à peu, jusqu’au chiffre qui devait étonner le monde et qui, tout d’abord, lui semblait, à lui-même, chimérique… Mais oui, mon cher, toute l’histoire est à refaire… je vous assure… toute l’histoire de ces hommes et de ce temps… et de tous les temps, le diable m’emporte ! S’