Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/369

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la vertu allemande… Elle a une autre manie, dont on rit beaucoup, entre soi, à Berlin… Quand, par hasard, elle va visiter un musée, elle exige que toutes les nudités des tableaux et des statues soient enlevées, ou voilées, sur son passage…

— Elle « aime des tableaux couvrir les nudités »… déclamai-je.

À quoi von B… riposta :

— Mais, rendons-lui cette justice, elle n’a pas d’« amour pour les réalités »… On raconte même, sur sa vie conjugale, certains détails qui enchanteraient l’âme puritaine de votre monsieur Bérenger… On raconte… Mais ça… comment le savoir ?…

Il conclut :

— Avec une pareille conception de la vie, de la littérature et de l’art, vous pensez si l’on s’amuse à la cour. Rien d’assommant comme ces fêtes, ces réceptions, d’un faste si lourd et glacé, d’une étiquette si rigide, d’un ridicule si funèbrement chamarré. Ce qui n’empêche nullement les plus féroces intrigues, et les passions les plus effrénées… Peut-être, de toutes les cours d’Europe, la cour de Berlin est-elle la plus corrompue… Et vous voyez qu’on n’arrive pas toujours à étouffer les énormes scandales qui éclatent… Ah ! mon cher…

Je m’apprêtais à recueillir d’amusantes et très sales histoires. Mais von B…, par pudeur nationaliste, peut-être, se déroba et il reprit :

— Il faudrait, pour animer une cour comme la nôtre, une femme qui ait un peu de ce mélange, difficile à définir, de grâce et de fierté… et que vous appelez… l’allure… de l’allure.

Et il fit, en répétant le mot, claquer deux doigts en l’air.