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BORDS DU RHIN

Ils revenaient mariés et ennemis.

De tout ce grand amour, qu’avaient surexalté quinze ans d’absence, il avait suffi de quelques mois de vie commune pour qu’il ne restât plus rien… plus rien que de la déception, de la rancune et de la haine. On peut dire que leur véritable séparation date seulement de cet instant où ils entrèrent, rivés l’un à l’autre, dans la maison.

Des scènes intimes, tragiques, des querelles domestiques qui suivirent cette lamentable arrivée au foyer, nous ne connaissons absolument rien… Elles durent être violentes et honteuses. Mais pas un document n’en demeure. S’il en exista jamais, ils ont certainement disparu dans le tri sévère que Mme de Balzac fit des papiers du grand homme, après sa mort. Trois ans auparavant, Balzac avait brûlé toutes les lettres de Mme Hanska. Acte impulsif d’amoureux, sans doute. C’était maintenant à Mme Hanska de détruire les lettres de Balzac. Acte de prudence réfléchie, peut-être. Sa mémoire bénéficiera-t-elle de cette regrettable absence de renseignements ?… S’en aggravera-t-elle, au contraire ? Je ne puis le juger.

Je ne puis que me référer aux souvenirs de Jean Gigoux. Là, ils sont précis, et ils ont la valeur de témoins.

Ce que j’y trouve, c’est que Balzac et sa femme ne se pardonnèrent point de s’être mutuellement trompés. Balzac savait maintenant que sa femme n’était point aussi riche qu’il le croyait… De la liquidation de ses affaires, de ses procès, elle avait, en somme, sauvé peu de chose, presque rien. Presque rien pour Balzac. Et ce mariage auquel il s’était, pour ainsi dire, férocement accroché, comme à sa dernière ressource, ce mariage qu’il avait pensé être le salut, la fin de ses embarras, l’apothéose de sa vie, n’était, en définitive, qu’un em-