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LA 628-E8

appelait, en ce temps-là, une hypertrophie du cœur, – que lui avaient valu son travail fou, et quelque chose de plus fou encore que son travail, l’abus qu’il faisait du café. Aggravée par le chagrin, la maladie avait marché rapidement. C’était effrayant à voir. Il souffrait, comme un damné, de la poitrine, des reins, du cœur. Il ne pouvait absolument pas respirer : l’asphyxie, il n’y a pas d’autre mot. Et il enflait comme une outre… Chaque jour, on le ponctionnait. Mais il arriva bientôt que les ponctions ne le soulagèrent plus… Le trocart criait, grinçait dans la chair des jambes devenue dure. Imperméable, sèche et très rouge, pareille à du « lard salé », a dit le docteur Louis… On ne peut pas se figurer ! Le 17 août, dans la journée, il fut administré, et les trois chirurgiens qui le soignaient…

Levant ses mains vers le plafond, et les laissant ensuite retomber sur ses cuisses lourdement, il répéta :

— Qui le soignaient !… qui le soignaient !… Ah !… Enfin !… les trois chirurgiens qui le soignaient, avec le bon Nacquart, se retirèrent, en recommandant qu’on ne les dérangeât plus, désormais… quoi qu’il pût arriver !… Il n’y avait plus rien à faire… Balzac s’en allait, mourait par le bas, mais le haut, la tête, restait toujours bien vivant… La vie était si fortement ancrée en ce diable d’homme qu’elle ne pouvait même pas se décider à quitter un corps presque entièrement décomposé… Et il y avait, dans toute la maison, une affreuse odeur de cadavre… Croiriez-vous que, quand je repense à cette journée-là, cette odeur me revient ?… que je ne puis m’en débarrasser ?… Après tant d’années ?… Mais vous savez tout cela… Ce n’est pas ce que je veux vous dire…

Il se tut quelques secondes. Puis :

— Écoutez… Ce que je vais vous dire, je ne l’ai