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BORDS DU RHIN

connu toujours si sceptique dans la vie, si dépourvu de préjugés, sauf dans son art, qui faisait du cynisme une sorte de parure intellectuelle, et comme une loi morale de l’existence, était, devant moi, timide, incertain, pareil à un petit enfant pris en faute. Et maintenant, il détournait la tête, pour ne pas rencontrer mon regard… Je crus qu’il n’oserait plus, qu’il ne pourrait plus parler… Je lui sus gré de l’effort douloureux que, visiblement, il dut faire, afin de reprendre et achever son récit… Enfin, il se décida :

— À dix heures et demie du soir, exactement, on frappa deux coups violents à la porte de la chambre : « Madame !… Madame !… » Je reconnus la voix aigre, la voix glapissante de la garde… « Madame !… Madame ! » répéta la voix… Et quelques secondes après : « Venez, Madame… venez !… Monsieur passe !… » Puis encore deux coups, si rudement portés que je crus que la serrure avait cédé et que la garde entrait dans la chambre… Nous nous étions dressés sur le lit… Et, le cou tendu, la bouche ouverte, immobiles, nous nous regardions, sans une parole… Vivement, elle avait glissé une jambe hors des draps, comme pour se lever : « Attendez ! » fis-je, en la retenant par les poignets… Pourquoi attendre ?… attendre quoi ?… J’avais murmuré cela, tout bas… machinalement, bêtement… sans que cela correspondît à aucune idée, à aucune intention de ma part… J’aurais pu aussi bien dire : « Dépêchez-vous !… » Mais la voix s’était tue… Il n’y avait plus personne derrière la porte. Et, déjà, j’entendais les deux savates s’éloigner, dans le couloir, en claquant… puis une porte, plus loin, s’ouvrir… une porte se refermer… puis le silence !… Ses cheveux libres couvraient son visage, comme un voile de crêpe, roulaient en ondes noires sur ses épaules, d’où la chemise