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LA 628-E8

avait glissé… Elle chuchota enfin : « C’est stupide ! c’est stupide !… J’aurais dû répondre… que va-t-elle penser ?… Non, vraiment c’est trop bête ! » Mais elle ne bougeait toujours pas, la jambe toujours hors des draps… Et elle répétait, d’une voix à peine perceptible : « C’est stupide… Pourquoi m’avez-vous empêchée, retenue ? » Et moi, obstinément, je disais : « Attendez !… Elle reviendra. » – « Non… non… elle vous sait ici… J’aurais dû répondre… Et maintenant… » – « Elle reviendra… Attendez !… » En effet, au bout de dix minutes, qui nous parurent des heures et des heures et des siècles, la garde revint… Deux coups contre la porte, comme la première fois… Et : « Madame !… Madame ! »… Puis : « Monsieur a passé !… Monsieur est mort !… »

Ici le vieux peintre s’interrompit… et, hochant la tête :

— Laissez-moi, dit-il, vous confesser une chose inouïe… une chose inexplicable… Ce n’est pas pour m’excuser… pour me défendre… C’est… Enfin, voilà !… Je vous assure que ce « Monsieur est mort ! » n’évoqua en moi, tout d’abord, rien de précis… rien de formidable, surtout… Je n’y associai pas l’idée de Balzac… Je n’y vis pas se dresser, soudainement, la colossale figure de Balzac, les yeux clos, la bouche close, refroidie à jamais… Non… J’étais tellement hors de moi-même, hors de toute conscience… de toute vérité… j’étais noyé en de telles ténèbres morales, que cette nouvelle, criée derrière cette porte, et dont le monde entier, demain, allait retentir, ne m’impressionna pas plus que si j’eusse appris qu’un homme quelconque… un homme inconnu était mort… Je ne me dis pas : « Balzac est mort !… » Je me demandai plutôt : « Qui donc est mort ?… » Mieux, je ne me demandai rien du tout… Par